
La rivière est là, calme, dense, profonde. Nous la découvrons du haut d’un pont ou l’abordons tranquillement sur les chemins de halage ligériens. Chaque séance est une page à écrire ensemble.
Là réside une des facettes de mon passionnant métier : entamer un chapitre de réflexion avec quelqu’un qui a besoin de penser à son parcours professionnel autrement.
L’instant arrive souvent après un événement fort, qu’il soit de l’ordre de la révélation («après cette rencontre, je me suis dit que c’était ça que je voulais faire»), d’un ressenti d’impuissance ou d’exaspération («si ça n’avait pas été au bureau, j’aurais claqué la porte»), ou d’une vague plus profonde («je commence à réaliser que je ne suis pas à la bonne place, mais je ne sais pas comment me réinventer»).
La nature est là, tout autour, pour accompagner cette démarche. Réfléchir prend du temps ; aller au cœur de soi, encore plus.
Dans tout ce que j’entends, je décèle les points d’appui inaltérables. Lorsqu’ils me sont livrés, le regard se porte souvent au loin, les pas se délient, le sourire affleure délicatement, parfois un peu contenu : on ne nous apprend pas toujours à clamer nos forces haut et clair, à l’école et ailleurs.
Je recueille aussi des passages plus durs. Des histoires de colères, de frustrations, d’incompréhensions massives et rebelles. Des moments où l’abîme se creuse, entre ce que la personne que j’écoute voudrait vivre et ce qu’elle parvient à mettre en place.
C’est là, souvent, qu’un arbre à l’écorce noueuse, une nuée orageuse, ou un chemin escarpé dans les vignes me serviront d’appui. La métaphore en nature a ceci de magique qu’elle permet d’adresser un problème sans brusquer son sujet. Le sujet du problème. Dans son contexte précis. A un moment donné de son histoire.
Souvent la colère irrigue pour faire bouger les lignes. C’est quand elle ne peut s’écouler que les digues deviennent dangereuses, prêtes à céder.
Dans ces moments-là, il suffit d’écouter. Tout est dit, explicitement parfois, mais si souvent «en creux». C’est là, dans le message sous-jacent, comme dans le lit de la rivière où reposent tant de limons fertiles, que se trouve souvent la clé pour reprendre un chemin plus propice à l’équilibre entre soi et le monde.
Dans ces moments-là, je m’attache à dire une chose, une seule : « La question que ça pose, peut-être… ». Sans jamais attendre que me soit livrée une réponse précise.
Je trouve que c’est la plus belle phrase qui soit, car elle engage notre humanité tout entière. Tant que nous sommes en mesure de poser des questions, à l’Autre et à Soi, cela signifie que nous pouvons réfléchir. Et ce n’est jamais une question d’âge, de fonction, de statut.
Pouvoir réfléchir à la question que ça pose, c’est, au creux de la Nature, le signe que nous sommes profondément vivants, libres de penser et de vouloir ce qui est à venir.