D’habitude, c’est aux premiers jours de juillet qu’on saute et qu’on danse, qu’on rit et qu’on crie. Mais oui mais oui, l’école est finie. Sauf que là, c’est le 18 mars, les crocus pointent, mais le calendrier scolaire n’en croit pas ses yeux.
Le grand maître a martelé « c’est la guerre » et il faut arrêter d’aller au travail. Il y a quelques mois, il avait dit qu’il suffisait de traverser la route pour aller travailler. Franchement, y’a de quoi s’y perdre ! Là, il dit « surtout, restez loin de vos amis, de vos collègues, de tout vecteur ». C’est quand même le monde à l’envers et au passage, on n’a pas fini de suer sur cette notion de vecteur qui nous compliquait déjà tellement la vie en maths !
Il a dit, le grand maître – fait historique en temps de paix - qu’on fermait les écoles dès le 16 ; passée une petite onde de plaisir (allez, on ne va pas se mentir, la perspective de grasses matinées en séries, ça fait d’abord un peu fantasmer les petits et pas que les petits !), la France se retrouve groggy.
D’abord, il en a appelé au civisme. Un jour, deux jours, ça n’a pas marché. Après, carton jaune, il envoie l’armée. On comprend pourquoi… et pour qui. Parce que c’est sérieux, cette histoire.
Parce qu’on n’a pas compris. Lui non plus d’ailleurs, en tout cas pas aussi vite que la force de propagation de cet ennemi aussi dévastateur qu’invisible. Pourtant on le sait, que les nuages radioactifs, comme les virus et comme la peste brune, ça ne s’est jamais arrêté aux frontières… Décidément, il y a des fondamentaux qui ne veulent pas rentrer dans nos esprits rebelles ! Toutes les maîtresses le disent !
Mais voilà, on en est tous là, la liberté avant tout. C’est humain. C’est très bien d’ailleurs. Dans des circonstances « normales », c’est un moteur sublime. Ça peut sauver, même. Mais là, la machine s’est déréglée. Il faut penser à l’envers…
L’école est finie donc, et un formidable élan pour qu’elle reprenne le plus vite possible, sans discontinuité, s’engage. Sur un petit échantillon de trois enfants, avec mes clients et partenaires professionnels, je vois cet effort considérable, passée la sidération, se mettre en place. La classe à la maison, le bureau à la maison, ça ne sent pas l’encre, le bois, la craie* ou le café du matin avec les collègues. Mais ça se bricole, ça s’organise, se peaufine. Les guerres ont toujours décuplé la créativité et la force de rebond.
Qu’est-ce que c’est bon de constater que le travail, c’est la vie. Que tout le monde en a envie, ou a minima réalise qu’après la santé, après la démocratie, c’est un troisième luxe à préserver coûte que coûte. Les réseaux et autres applis très sophistiquées plantent. Il fallait s’y attendre, mais là aussi, on n’a pas poussé assez loin les scénarii Titanic. Qu’à cela ne tienne, la maîtresse nous invite à travailler les maths en cuisine : « alors dis-moi, si je divise 11 paquets de pâtes honteusement stockés (je suis une enfant de parents enfants de la guerre), par 5 personnes, fois 2 repas par jour, par X jours de confinement, il faut que cette petite plaisanterie dure combien de temps avant que ça ne devienne pas drôle du tout pour nos estomacs ? ». Il faut revenir aux basiques, nous dit-elle !
Ça va envoyer des watts dans l’énergie de transformation ! Dommage qu’il faille en arriver là pour prendre acte du fabuleux cadeau que c’est de vaquer en liberté, d’aller apprendre sur les bancs de l’école pour tous.
Dommage ou pas dommage, c’est ainsi.
L’actualité nous donne ici, sans doute, une douloureuse mais capitale leçon…. Même loin des bancs et des bureaux, tous à l’école de la vie ! Donne-moi ta main, et prends la mienne : peut-être n’avons-nous jamais eu une si belle occasion de nous re-lier.
* Extrait proustien d’Odeur des pluies de mon enfance de René Guy Cadou, que les natifs de 1974 et autour, ont forcément apprise à la rentrée des classes, quelque part en Cours Moyen…
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