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Un troisième conte de Noël


Aux murs, des tableaux dont elle change incessamment la composition. C’est comme ça, elle aime le beau, la nouveauté, ne jamais faire comme tout le monde, surprendre et se réinventer. Elle a toujours été comme ça. Elle peut s’enflammer pour une teinte le matin et décider d’en changer radicalement le soir, repeindre tout du sol au plafond sans demander l’autorisation. Capricieuse et libre. Fardée du matin au soir, étincelante la nuit, elle seule a le secret d’une palette de paillettes à faire pâlir toutes les princesses du monde.


Son métier est millénaire. Il existait avant les tisserands, les embaumeurs et les enlumineurs.


J’ai longtemps pensé que je lui préfèrerais toujours sa grande sœur, plus prévisible, plus généreuse et surtout plus profonde, me semblait-il…. Finalement, avec l’âge, j’ai su découvrir ses milles secrets et coquetteries. Je regrette même de l’avoir négligée pendant de nombreuses années. Me restera-t-il assez de temps pour percer ses secrets ?


Plus cachottière, en effet, l’été, elle disparaît presque totalement. Je la cherche dans nos repaires habituels pour reprendre la conversation là où nous l’avions laissée. Mais rien, c’est parfois comme si elle avait décidé de s’évanouir à jamais. Dans ces moments-là, j’avoue que je panique un peu. Et si nous avions eu raison de sa patience ? Puis elle se réimpose à nos soirées, sans même qu’on l’ait invitée : c’est elle qui décide de l’endroit et de l’heure où elle rejaillira. Si vous aimez la ponctualité, passez votre chemin !


Son métier est nécessaire. Sans lui, pas de meuniers, pas de marins ni même d’agriculteurs.

Petite, quand il m’arrivait d’avoir à partager ses jeux, je la considérais statique et vraiment trop lascive. Ses attitudes royales me fatiguaient j’avoue, à force de mollesse. Mais à la côtoyer plus véritablement, il a fallu me raviser un peu. Je l’ai vue en effet enfler dans une furie sourde, emportant tout sur son passage. Je l’ai connue sombre, arrachant des rondins pour dire sa colère, dans des accès de courroux dont les murs de pierre gardent ici et là des marques successives, que les passants déchiffrent interloqués, quand enfin elle décide de regagner son lit.


Avec elle, les discussions sont infinies. Elle a tous les arguments. Elle pose un point de vue sur les choses qui ne date pas d’hier. J’avance une opinion, elle fait silence, toujours, avant de prononcer un point de vue opposé. Comme ça, juste pour jouer, pour que ça n’en finisse jamais, ce luxe de pouvoir réfléchir au monde, avec nous en son centre. Elle déteste quand je prétends cela, que nous sommes au centre de l’univers – après tout il faut bien se considérer quelque part ! - et qu’il nous reste dès lors à ajuster notre centre de gravité pour tenter une subtile harmonie. Parlez-lui de dérèglement climatique, elle vous regarde de loin et de haut, elle s’amuse de nos milles gesticulations. Elle sait qu’au bout du compte, c’est toujours elle qui aura raison, avec ou sans les scientifiques.


Son métier est élémentaire : elle sait calmer le feu, polir la pierre, régénérer notre air. Vraiment, elle sait tout faire !


J’ai demandé au Père Noël, cette année, qu’elle reste mon alliée à vie. Qu’elle soit toujours là pour nous tous. Qu’on puisse compter sur elle. Qu’elle s’apaise un peu, qu’elle calme ses colères. Ça ne sert à rien de s'échapper, puis de revenir pour s’emballer comme ça, ça fait parfois beaucoup trop de dégâts. Que plutôt, chaque année, elle soit là, sublime et apaisante, à nous offrir un lac des cygnes magistralement unique, d’un soir d’été à l’aube d’après.


Son métier est tant menacé, mais c’est lui qui vaincra. Elle s’y consacre chaque jour, sans relâche, aux quatre coins de la planète, depuis que le monde est monde. Une grande dame… cette amie la Rivière.



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